Wuhan, ville close
Décembre 2019, en Chine, un nouveau virus fait son apparition dans un marché de Wuhan. Il sera bientôt nommé Covid-19.
Au départ, en janvier 2020, les autorités annoncent que la maladie ne peut se transmettre d’humain à humain alors les Chinois continuent de vivre, se rassemblant un peu partout dans la ville. Quelques jours plus tard, force est de constater que cette information à propos du virus est fausse. Les Wuhannais se présentent en masse dans les hôpitaux avec de la fièvre, des difficultés respiratoires et d’autres symptômes qui deviendront tristement célèbres pour être ceux de ce nouveau coronavirus.
Dès lors, les autorités annoncent la mise en quarantaine des neuf millions d’habitants de la ville afin d’éviter les débordements dans le système de santé. Plus personne ne peut entrer ou sortir des limites de la cité qui sont gardées, les habitants sont enfermés chez eux, sans possibilités de sortir sauf en cas de nécessité absolue. Ceux qui étaient à l’extérieur de la ville pour des vacances ou par affaire, ne peuvent revenir chez eux. Même chose pour ceux qui étaient à Wuhan sans y résider. Au moment où la quarantaine est instaurée, ils sont prisonniers, souvent sans avoir d’endroit où dormir.
« Je note ces détails pour que tous les coupables sachent que les victimes de cette catastrophe ne sont pas uniquement les personnes contaminées, les morts et les malades, mais tous ces gens ordinaires, et que nous payons tous cher le prix de cette catastrophe. »
Fang Fang
De son appartement, l’écrivaine Fang Fang publie un premier billet sur la plateforme de partage Weibo (à noter que Facebook n’est pas accessible sur les réseaux Internet chinois). Nous sommes le 25 janvier 2020, 1er jour du premier mois lunaire. Pendant 60 jours, Fang Fang rédige son journal en ligne qui est lu par des millions de lecteurs. Racontant les petits instants de son quotidien et consignant ses réflexions sur la pandémie, elle s’entretient avec des médecins et reste à l’affût de toutes les annonces de son gouvernement. N’hésitant pas à poser un regard critique sur la situation, sur la gestion de la crise sanitaire, elle se voit acculée à la censure. En effet, ses comptes de « médias sociaux » sont bloqués, ses écrits régulièrement effacés par les autorités, son opinion décriée par certains. Avec l’aide d’une Chinoise qui serait établie en Californie, l’auteure arrivera à publier ses textes afin de garder une trace de cette catastrophe ayant entraîné un chaos mondial.
Bien qu’au moment d’écrire ces lignes nous soyons encore aux prises avec cette pandémie, j’ai trouvé réconfortant de lire comment les choses se sont passées en Chine, l’endroit où tout a commencé. La vision de l’intérieur que propose Fang Fang est empreinte d’humanité et de sagesse. La femme de 65 ans remet en question les agissements des autorités de son pays sans ne jamais tomber dans l’accusation ou la violence verbale. Elle comprend le caractère impensable de la réalité dans laquelle elle est plongée. Son ton posé, tout au long des journées qui passent, est un baume sur le cœur de tout lecteur à bout de souffle pendant cette période difficile. Enfermée à l’intérieur de son logis avec son chien, elle partage sa vision avec le monde entier.
Que ce soit une voisine qui dépose des pains chauds sur le pas de sa porte, un bénévole qui lui livre des céleris ou encore les pruniers en fleurs qu’elle découvre à son réveil, Fang Fang continue de s’émerveiller devant les petites choses de la vie. Parfaitement lucide, elle demeure consciente des dangers dont elle est la cible. Elle reçoit des menaces parce qu’elle ose s’interroger, publier ses réflexions (somme toute modérées) dans un pays où la liberté d’expression est contrôlée d’une façon si intense que nous ne pouvons nous imaginer. Cela nous permet de réaliser à quel point nous sommes chanceux de vivre là où les restrictions ne nous empêchent pas de sortir de chez nous ou de nous exprimer.
À lire pour mieux comprendre et pour découvrir une plume chargée d’humanité.
Wuhan, ville close. Fang Fang, Édition Stock, collection La Cosmopolite, ISBN 9782234090484, 34.95$